24 octobre 2008

Le Feu de l'amour et du hasard

Jeudi soir dans l'une des plus belles villes du nord de l'Amérique. Entamant ma quatrième pinte de bière blonde de la soirée, j'écoute un peu distraitement un jeune pompier m'expliquer comment il peut deviner l'état d'esprit ou les intentions d'une personne par la simple analyse de son langage non verbal. À ma droite, Nathalie minaude avec le chef aux opérations, un grand gaillard à la tête rasée et aux muscles saillants. En face de moi, Alexandra disserte sur ses préférences en matière de vibrateur, coincée entre le capitaine et le lieutenent qui sont aussi subjugués par son discours que par son opulente poitrine. À ma gauche, Noémie est sur le point de se consumer pour le bellâtre de la caserne qui, jolie gueule, sourire désarmant et mains baladeuses, lui chante intensément la pomme. Décidement, l'irruption de cette bande de pompiers en goguette dans notre 5 à 7 hebdomadaire semble prendre une tournure plutôt dissolue. Du moins pour mes copines, puisque je suis apparemment tombée sur le seul de ces messieurs qui ne brûle pas d'éteindre quelque incendie...

Une deuxième tournée de shooters vient interrompre le plat exposé de mon bel interlocuteur qui, malgré ses connaissances indéniables en synergologie, ne saisit pas du tout ce qui se cache sous mes regards appuyés et mon décolleté savamment exposé. Ragaillardie par la dernière rasade d'alcool, je décide de passer aux choses sérieuses. C'est à ce moment que retentit dans les haut-parleurs l'une de mes chansons préférées, provoquant aussitôt l'euphorie générale et une ruée vers la piste de danse. Émoustillée, j'empoigne le bras de mon pompier et tente de l'entraîner parmi la foule des danseurs. Il se raidit, aussi choqué que si je lui avais carrément mis la main dans le pantalon, et refuse ma proposition en bredouillant qu'il n'est pas d'humeur à se déhancher. J'insiste en riant, tirant un peu sur la manche de sa chemise, le suppliant presque. Il me regarde l'air vaguement effrayé, comme si j'étais une ogresse prête à le dévorer, puis prétextant une envie pressante, se sauve en direction des toilettes.

Abandonnée et perplexe, je me cale dans mon fauteuil en avalant le reste de mon verre. Nathalie et son prétendant ont disparu. Alexandra est maintenant assise sur les genoux du capitaine. Noémie et le tombeur s'embrassent comme s'il n'y avait pas de lendemain, à demi couchés sur la banquette. Voyant mon soudain désœuvrement et ayant déclaré forfait devant son supérieur dans la lutte silencieuse pour les faveurs de mon amie, le lieutenant s'assied à côté de moi et me fait la conversation avec un enthousiasme légèrement suspect. Ma copine. Moi. La blonde qui boit un mojito trois sièges plus loin. La petite asiatique qui sautille au rythme de la musique. La fille du vestiaire et sa robe à paillettes. Même la quadragénaire un peu défraîchie accoudée au bar. Peu importe. Quand il s'agit de ramener quelqu'un dans leur lit ou de le suivre jusque dans le sien, les prédateurs qui rôdent dans la jungle urbaine n'ont pas des critères très poussés. Une proie leur échappe ? Ils se rabattent sur une autre et sur une autre encore, jusqu'à ce qu'ils réussissent ou que 3 h sonne. Dans un tel contexte, et comme je suis loin d'être le pire parti du lot, la résistance du jeunot est aussi inhabituelle que surprenante. Faut dire que ça fait à peine un an que le petit a quitté sa Gaspésie natale pour la grande ville. Voilà sans doute qui explique pourquoi il a encore des principes.... et une âme.

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